Attaqués de toutes parts ou hystériques, militants pour l’égalité ou donneurs de leçons, les partisans de l’écriture inclusive clivent rapidement quand on commence à chercher des avis sur le sujet. Que disent-ils vraiment ? Quelles raisons donnent-ils pour se mettre à l’écriture inclusive à grande échelle, ou simplement pour expliquer la démarche de sa création et de son utilisation ?
L’écriture inclusive, pour ses défenseurs, se définirait comme “un ensemble d’attentions graphiques et syntaxiques permettant d’assurer une égalité des représentations entre les femmes et les hommes dans le langage”. La situation est la suivante : la langue française, dans sa forme actuelle, souffre d’un manque de représentation du féminin, et d’une surreprésentation du masculin, qui auraient des effets délétères sur la société : manque de considération pour les femmes, difficultés de celles-ci à s’imaginer facilement dans des situations majoritairement décrites au masculin… Divers éléments sont avancés pour soutenir une réponse à cette inégalité par l’emploi du langage inclusif.
La langue véhicule le sexisme, et construit une société sexiste
Au Moyen-Âge, le français n’était pas une langue pleinement normée. On y trouvait des accords permettant une plus grande place du féminin, comme l’accord de proximité (et jusqu’à plusieurs siècles après, comme au XVIIe avec Racine écrivant “ces trois jours et ces trois nuits entières” dans Athalie). Mais le XVIIe siècle et le suivant sont ceux où la politique se centralise toujours plus et où les règles de la langue du pays s’unifient en conséquence. Les réformateurs de la langue vont établir une primauté du masculin en partie motivée par des considérations sexistes : dans sa Grammaire Générale parue en 1767, le membre de l’Académie Française Nicolas Beauzée affirme la supériorité du mâle sur la femelle, à la suite de Vaugelas qui un siècle plus tôt affirmait que le masculin est le genre le plus noble. Ces considérations n’ont pas empêché les évolutions sociales pour les femmes, mais elles entretiennent des représentations, ou plutôt un manque de représentation, qui peuvent rendre plus difficile une véritable égalité.
Le masculin est un faux neutre
On a tendance à évacuer la question en disant que le masculin a une fonction de neutre, que ça ne se veut pas sexiste, et que c’est très bien ainsi. C’est, pour les tenants de l’écriture inclusive, un refus d’interroger le statu quo. Quoi qu’on en dise, les formes masculines restent beaucoup plus présentes dans le discours et dans la pensée des francophones, et cela donne une place de même importance aux individus qu’elles désignent, les hommes, y compris lorsque qu’il n’est pas intentionnel de les évoquer. Le psycholinguiste Pascal Gygax raconte cette devinette pour illustrer le problème :
Un père est en voiture avec son fils de 13 ans. Un accident arrive et le père meurt sur le coup. L’enfant en état critique est transporté aux urgences, lorsqu’il est amené dans le bloc opératoire le chirurgien s’écrie “je ne peux pas l’opérer, c’est mon fils !”. Comment cela est-il possible ?
La réponse attendue est que le chirurgien est une femme ! Sans travail de représentation des femmes au-delà du “masculin neutre”, on se retrouve avec des énoncés où chercher un homme nous semble être la seule option. C’est pour cela qu’il peut sembler nécessaire de faire un travail d’égalité dans nos habitudes de langage, même si elles peuvent être contre-intuitives ou inesthétiques.
Les évolutions de nos sociétés vont dans le sens d’une plus grande attention portée aux femmes et à leur condition
Si les évolutions de l’écriture inclusive peuvent être nécessaires, ce n’est pas seulement pour des questions d’équilibre sémantique ou de gentillesse pour les femmes travaillant dans la chirurgie, c’est aussi pour prendre acte de façon durable des évolutions de la société : les métiers ne sont plus seulement réservés aux femmes, le masculin n’est plus la norme de ce qui est important ou noble. S’assurer qu’hommes et femmes identifient également leur présence dans un discours au quotidien, c’est construire un imaginaire où ils ont les mêmes opportunités professionnelles et sociales. Dire “Les travailleuses et les travailleurs” c’est considérer que ceux qui travaillent ne sont pas une masse faussement neutre à visage masculin, “les travailleurs”, mais un ensemble d’hommes et des femmes de même dignité.
Et vous, êtes-vous convaincus par l’inclusivité du langage ? Pensez-vous qu’elle soit pertinente, soit pour amener de nouvelles avancées de la condition des femmes, soit pour consolider celles déjà acquises ?