L’écriture inclusive comme nous la connaissons est un phénomène assez récent. Avec à peine un demi-siècle d’existence confidentielle, dépendant uniquement du militantisme, les propositions de révolution linguistique neutre ou inclusive sont plus une exception militante qu’une évolution organique.
Les tenants de l’écriture inclusive dans la sphère francophone font souvent remonter leur combat à quelques débats sur des noms féminins aux XVIe et XVIIe siècles, quand la langue française s’est normée et structurée. On a vu en effet “auteure” ou “ambassadrice” apparaître dans des documents, puis disparaître des dictionnaires et de l’usage, parfois avec des discours de linguistes ouvertement hostiles à une place trop importantes du féminin, comme Vaugelas expliquant au XVIIe siècle que le masculin est le genre le plus noble.
Une innovation audacieuse
Toutefois, ces débats ne sont pas exactement les points de départ de l’écriture inclusive telle qu’on la lit aujourd’hui. La question de la féminisation de termes existants est un enjeu qui chamboule bien moins de choses qu’une révision globale des règles de grammaire et de syntaxe. Si vous utilisez demain “doctoresse” ou “autrice”, ce n’est pas une modification aussi profonde que de se mettre à rajouter du féminin après chaque utilisation du masculin dans vos phrases. Ou de mettre en œuvre un genre neutre créé de toutes pièces qui remplacerait tous nos usages habituels.
L’aboutissement d’un combat pour l’égalité
Les débats historiques invoqués par les défenseurs de l’écriture inclusive sont avant tout ponctuels, et relèvent moins d’une progression linéaire que ce que l’on pourrait croire : malgré leurs conclusions “en faveur” du masculin, ils n’ont pas empêché les avancées légales et sociales pour les femmes au fil des siècles.
De plus, comme on l’a vu, ils ne relevaient pas nécessairement d’un mouvement militant de transformation de la langue, mais plutôt d’une nécessité organique relative aux conditions du moment. Si vous n’avez pas de femme qui écrit, ou de femme qui fait de la diplomatie, il n’est pas en premier lieu absurde ou oppressif que les mots “auteure” ou “ambassadrice” n’apparaissent pas dans vos lexiques. Et si vous en avez, ces mots viendront dans le débat sans qu’il soit nécessaire de refonder la langue de bout en bout, comme cela s’est fait par la suite.
Dans la sphère francophone, le mouvement intellectuel et militant pour le langage inclusif connaît ses premières affirmations au XXe siècle, vers les années 70-80, avec un féminisme qui joint les efforts des militantes à ceux des universitaires. On considère que la langue reste un vecteur de l’oppression des femmes : la contraception, l’avortement, l’indépendance des femmes vis-à-vis de la structure familiale ou des hommes en général sont acquis sur le plan légal, mais il faut encore s’assurer que les représentations, modelées par le langage, entérinent ces évolutions.
Des accélérations récentes
Le combat pour le langage inclusif francophone connaît une structuration précoce au Québec, où l’on voit apparaître des propositions de grammaire neutre ou inclusive, plus récemment propulsées sur internet avec des plateformes comme egale.ca.
En France, le mouvement féministe sur internet et la masse des militants non universitaires s’emparent du sujet au milieu des années 2010. Des universitaires renommées comme Laélia Véron ou Eliane Viennot en font la promotion dans leurs publications et sur les réseaux sociaux. Le mouvement dit woke en France porte particulièrement cette pratique. Des entrepreneurs comme Raphaël Haddad sont aussi à l’avant-garde dans le combat : ce docteur en SIC, patron de l’agence de communication Mots-clés, publie en 2023 l’ouvrage collectif L’écriture inclusive, et si on s’y mettait ? suite à son Manuel d’écriture inclusive de 2021, après avoir déposé la marque “écriture inclusive” en 2016 et l’avoir popularisée auprès du public francophone.
La réaction et les critiques arrivent quasi simultanément à la tendance, avec une sortie du philosophe Raphaël Enthoven qui marque par sa virulence anti-écriture inclusive, et le débat fait encore rage aujourd’hui : l’ouvrage Le Sexe et la langue en 2018, le collectif Malaise dans la langue française en 2023 deviennent des classiques de l’opposition à l’écriture inclusive. Il a même débordé dans le champ politique, avec la circulaire Blanquer de 2021 qui restreint son usage dans l’Éducation Nationale face à son adoption par différentes universités et grandes écoles, ou encore la loi Gundy votée par le Sénat fin octobre 2023, qui prône le bannissement maximal de l’écriture inclusive.