Comment est apparue l’écriture inclusive ? Un peu d’histoire

L’écriture inclusive et la pratique d’un langage inclusif comme on les connaît aujourd’hui nous viennent à l’origine des Etats-Unis, ce dont on aurait pu se douter, mais plus précisément de la théologie protestante, ce qui est plus surprenant. Après une diffusion de ces pratiques dans les sphères féministes plus larges des deux côtés de l’Atlantique, le terme français “écriture inclusive” n’est clairement posé qu’en 2016, grâce à une agence de communication engagée, et une conviction forte : l’égalité des sexes ne se fera pas sans égalité dans la langue.

Théologie protestante et inclusivité

À la fin des années 1970, plusieurs courants de théologie américains, notamment évangéliques ou presbytériens, considèrent que la libération sociale des femmes doit aussi avoir lieu dans leurs églises. Pour cela, ils construisent une critique de la Bible, des textes religieux et du langage cultuel de l’époque, en pointant la nécessité d’évoquer aussi bien les femmes que les hommes pour que tous soient pleinement enfants de Dieu.

L’UPCUSA, l’une des plus importantes organisations protestantes de l’époque, déclare ainsi en 1975 :

Le langage est la clé pour comprendre et construire la perception que les gens ont d’eux-mêmes. Le langage est formateur. Un langage sexiste incarne et construit notre vision de ce que sont les hommes et les femmes, et de comment ils entrent en relation. Et notre langage sur Dieu est crucial : il clarifie et colore notre vision de qui est Dieu et de comment il entre en relation avec nous.

De ce genre de considérations viennent des innovations sémantiques, comme le fait d’adopter des mots moins “masculins” pour désigner les croyants (remplacement de “men” par “people” dans des textes bibliques), ou encore le fait d’appeler Jésus “Child of God” plutôt que “Son of God”.

Mais bien sûr, les considérations qui fondent cette réflexion ne se limitent pas au spirituel : l’hypothèse de théologiennes féministes, comme Barbara A. Withers ou Nancy A. Hardesty, est que le langage conditionne notre vision du monde et nos possibilités d’évolution dans celui-ci. C’est l’application sociologique de ce qu’on appelle en linguistique l’hypothèse de Sapir-Whorf, du nom des deux linguistes qui l’ont développée dans les années 30 (hypothèse nommée en 1954 par Harry Hoijer).

Des collectifs féministes aux pro de la communication

La question de l’égalité dans la langue fait son chemin en France, sans que l’on utilise encore systématiquement le mot “d’inclusion”. Les penseurs dits de la French Theory vont s’attacher dans leurs travaux à dénoncer les schémas de pensée traditionnels, et même leurs formes d’expression, comme oppressifs. Derrida, dans De la grammatologie, considère que la pensée occidentale est “la domination d’une forme linguistique”.

Les années 70 et 80 vont être l’époque de diverses initiatives pour une place renouvelée du féminin dans la langue, afin de défaire la domination sexiste qui s’y exerce. Le Canada établit dans les années 80 un Bureau de la traduction sur la féminisation, qui s’attache notamment à féminiser les titres, fonctions et noms de métiers. En France, les mouvements féministes adoptent ce combat et la ministre Yvette Roudy, en charge des Droits des femmes dans le gouvernement Mitterrand, émet une circulaire recommandant la féminisation des noms de métiers. C’est un phénomène que l’on trouvait dans la langue française dès le Moyen Âge, mais c’est la première fois qu’il fait l’objet d’un militantisme au sein d’une idéologie comme le féminisme.

Plusieurs initiatives dans les décennies suivantes où des usages comme le point médian font peu à peu leur place, notamment dans le “Guide pour une communication non sexiste” du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes en 2013. On voit également arriver une pétition pour le rétablissement de l’accord de proximité, ou encore des articles prônant l’usage de « celleux » et « chercheureuses ». Il faut en fait attendre 2016 pour que l’expression “écriture inclusive” soit formalisée et popularisée auprès du public francophone, avec les modes idéologiques dites du wokisme. C’est notamment l’oeuvre d’un docteur en SIC, Raphaël Haddad, qui dépose l’expression comme marque à l’INPI et fonde l’agence Mots-Clés. Mots-Clés propose un accompagnement aux professionnels, entreprises et institutions souhaitant se mettre à l’écriture inclusive. Dans son sillage, de grandes entreprises françaises comme Canal + s’engagent pour l’écriture inclusive.

Un débat politique et intellectuel qui n’est toujours pas fini !

Raphaël Haddad avait l’intention de susciter la polémique en lançant l’écriture inclusive, afin que sa cause touche le plus de monde possible. Son objectif est visiblement atteint, puisqu’à ce jour un clivage s’est franchement dessiné et ne se dément pas, générant nombre d’articles, d’épisodes de podcasts, d’émissions de radio et de publications d’ouvrages. Encore ces derniers mois, le livre Malaise dans la langue française rassemblait des contributions d’universitaires opposés à l’écriture inclusive, sous l’égide de Sami Biasoni, en septembre 2022. Un peu plus tard, début 2023, Raphaël Haddad riposte avec L’écriture inclusive, et si on s’y mettait ? qui rassemble aussi son lot de chercheurs et de chercheuses reconnu·e·s. La controverse sur l’écriture inclusive n’a pas l’air prête de se clôturer chez nous !

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