L’écriture inclusive suscite des débats enflammés depuis plus de 5 ans en France, et même Mise au Point n’en est qu’un des nombreux aboutissements ! Ce que l’on perd parfois de vue dans les polémiques, c’est paradoxalement leur objet lui-même : savez-vous vraiment définir l’écriture inclusive ? On essaie d’y répondre dans cet article.
Une définition « mainstream » par l’agence Mots-Clés
L’agence Mots-Clés, dans son Manuel d’écriture inclusive, donne trois axes pour rendre sa communication plus inclusive :
- féminiser les noms de métiers
- mettre en valeur le féminin autant que le masculin : soit par le point médian (les Français·es), soit par la double flexion (« les Françaises et les Français ») utiliser dès que possible des mots épicènes (par exemple « personnes », « collègues », « élèves » qui ne sont pas marqués comme renvoyant à des hommes ou des femmes précisément)
- Ne plus employer les antonomases de « Femme » et « Homme » : en disant, par exemple « droits humains » plutôt que « droits de l’homme »
Mots-Clés fait le choix dans ses manuels de 2016 et 2021 de se focaliser sur ces trois axes, particulièrement le second, pour éviter de lancer une grammaire entièrement nouvelle qui serait trop nébuleuse pour le grand public. Pour les auteur du Manuel d’écriture inclusive, adopter ces conventions serait déjà un grand pas, un premier en tout cas.
Une définition peut également être trouvée dans la documentation de Mots-Clés ou de divers acteurs associatifs, considérant l’écriture inclusive comme un ensemble d’attentions graphiques et syntaxiques permettant d’assurer une égalité des représentations entre les femmes et les hommes dans le langage.
Un ensemble plus large… et dépourvu de règles !
Le choix de Mots-Clés, pour des raisons de communication pratique, fait l’impasse sur une réalité plus complexe du phénomène de l’écriture inclusive : celle-ci n’a pas de normes, pas d’institution centralisée. Et justement, on le voit dans les publications d’universitaires favorables à l’écriture inclusive comme Les Linguistes atterré·e·s, les partisans de l’écriture inclusive sont souvent très critiques d’institutions comme l’Académie Française qui ne servent selon eux qu’à produire de la norme oppressive. L’usage, souhaitent-ils, par prise de conscience collective, irait dans un sens progressiste et pourrait adopter des tournures inclusives.
Plusieurs conceptions de l’écriture inclusive pourraient donc coexister, voire se concurrencer et s’affronter. La présentation lissée de Mots-Clés, assez consensuelle en dehors du point médian, n’est pas la formalisation de la grammaire inclusive d’Alpheratz. Féminiser les noms de métier n’est pas suivre la démarche de la grammaire canadienne Egale qui propose d’utiliser les pronoms « ul, ol, al » !
De façon plus exacte, certes moins satisfaisante, on pourrait englober dans l’écriture inclusive l’ensemble des pratiques langagières visant à défaire les représentations traditionnelles du genre dans la langue, réelles ou fantasmées. C’est ce qu’expliquent Pierre Valentin ou Sami Biasoni : l’écriture inclusive n’est pas une initiative sortie de nulle part, elle vient comme expression d’un projet idéologique qui relève de conceptions particulières de l’égalité, des rapports sociaux, des hommes et des femmes, de l’autorité. Pensez-y, avant de la prendre comme un épiphénomène, en bien ou en mal !